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Sport L'esprit d'escalier

Grimper quatre à quatre les escaliers de la Tour Eiffel, du One World Trade Center ou des Etihad Towers à Abu Dhabi ? Cette nouvelle discipline sportive, le « tower running », a de plus en plus d'adeptes - plus de 140 000 dans le monde - et de compétitions. Un sport ludique et original, exigeant mais à la portée de tous. Nos journalistes ont testé.

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Par Pierre Demoux, Nicolas Richaud

Publié le 5 mai 2017 à 01:01

Rue Beethoven, dans le XVIe arrondissement de Paris. Drôle d'endroit pour un entraînement dans ce quartier touristique avec la Tour Eiffel à deux pas, de l'autre côté de la Seine. Et pourtant. L'adresse se repasse de joggers du dimanche en sportifs confirmés depuis qu'elle est devenue le haut lieu d'un exercice redouté: la montée d'escaliers en courant, idéale pour préparer une course de 10 km, un marathon ou un trail. Au bout de la rue, un escalier de 96 marches donne sur le Boulevard Delessert. Rien d'insurmontable lors de la première montée. Mais les jambes durcissent vite avec la répétition des allers-retours. Cinq fois. Dix fois. Le coeur s'emballe, les mollets se raidissent un peu plus à chaque passage et le souffle vient à manquer. En bon néophyte, on hésite entre monter marche après marche ou à les gravir deux par deux... Stop pour aujourd'hui, n'en jetez plus!

Très couru, ce spot attire aussi une autre population plus insolite: les adeptes du « tower running », un sport en plein essor consistant à gravir plusieurs centaines de marches - souvent plus d'un millier - pour se hisser au sommet d'un immeuble ou d'une tour. Qui sont ces fous qu'on appelle les « tower runners »?
Essentiellement des assidus de courses à pied qui cherchent autant à diversifier leur pratique sportive qu'à relever de nouveaux défis. Quelques 140000 athlètes sont recensés officiellement par l'association mondiale de tower running (TWA). Une communauté qui s'étoffe tous les ans, surfant sur la vague des nouvelles expériences sportives dans le sillage du CrossFit ou du Mud Day. « À la quarantaine, j'étais en quête de nouveautés, je me suis mis à courir, jusqu'à faire un marathon », confie Franck Ferrari, à la tête d'un cabinet du gestion Alliance Patrimoine. « Puis, quand j'ai entendu parler de la Verticale de la Tour Eiffel, ça m'a tout de suite tenté. » Le 16 mars, il faisait partie des 128 coureurs à s'élancer dans cette « grimpette » jusqu'au sommet du plus haut monument de Paris. Près de 280 mètres d'ascension avec, à partir du deuxième étage, quand le souffle devient de plus en plus court, une simple rambarde à mi-hauteur pour contrer le vertige d'une vue imprenable sur la capitale. Ce jour-là, Piotr Lobodzinski, vainqueur de l'épreuve depuis la première édition en 2015, réussit l'exploit d'avaler les 1665 marches en moins de huit minutes. Au prix d'un effort intense. « Sur la ligne d'arrivée, tout le corps fait souffrir, c'est un exercice d'endurance extrême », explique ce Polonais de 31 ans.

L'homme est le maître incontesté d'une discipline dont les meilleurs mondiaux se retrouveront de nouveau en France dans quelques jours (le 18 mai) pour Vertigo, l'ascension du plus haut building de la Défense, la Tour First. Aux côtés des athlètes, l'épreuve attire aussi nombre de salariés des entreprises installées dans le quartier d'affaires. Et, à l'approche du départ, il n'est pas rare de voir des futurs participants s'entraîner dans les cages d'escaliers de leur immeuble pour préparer la course par équipes, plus accessible que l'ascension individuelle des 954 marches. « Avant le jour J, nous organisons avec un entraîneur un «examen blanc» entre collègues dans la Tour First », raconte Cécilia Ayala, marketing manager chez CBRE, spécialisé dans le conseil en immobilier, et qui prendra le départ dans l'une des équipes de la société. « Beaucoup d'entreprises incitent leurs salariés à participer », assure Antoine Biard, de l'ONG Play International, l'organisateur de Vertigo, dont les recettes financent des programmes d'éducation par le sport. « C'est le genre de challenges atypiques qui permet de fédérer des gens de tous profils, des coureurs confirmés aux néophytes. »

Des titres de meilleur grimpeur d'escaliers très disputés

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C'est l'un des paradoxes de la course d'escaliers: derrière l'image de défi improbable - dites à vos proches que vous comptez gravir la Tour Eiffel en courant pour voir leur visage intrigué... -, se cache un exercice relativement abordable, pour peu que vous ne cherchiez pas à vous mesurer à des Piotr Lobodzinski. « C'est finalement plus accessible qu'un semi-marathon ou même un 10 kilomètres », estime Antoine Biard. « D'ailleurs, 80 % des participants à Vertigo sont des sportifs du dimanche. » Certains d'entre eux développent même de nouveaux réflexes, à l'image de Cécilia Ayala, qui se surprend désormais « à prendre tous les escaliers dans le métro. J'étais pourtant assez sportive mais je suis moins essoufflée qu'avant », constate la jeune femme.

« C'est un effort d'une quinzaine de minutes, très court et très «cardio», assez violent pour le coeur et les poumons. L'acide lactique se répand très vite dans les jambes », décortique Lucile Woodward, coach sportif diplômée d'Etat. « Mais c'est un sport qui affermit les abdos et améliore les capacités respiratoires, à l'instar de la corde à sauter. » L'équipement requis, lui, est minimaliste. « Des chaussures de running de bonne qualité et qui amortissent bien l'avant du pied. Des chaussettes de compression peuvent s'avérer utiles, de même qu'une très bonne brassière pour les femmes », énumère-t-elle.

Une fois inoculé, le virus du tower running semble tenace. Fin janvier, Franck Ferrari, qui a bouclé l'ascension de la Tour Eiffel en moins d'un quart d'heure, a pris un billet d'avion pour Abu Dhabi afin de participer à la course menant les participants en haut du complexe des Etihad Towers. Au menu: 82 étages et 1617 marches. Prochain objectif: « Courir l'épreuve du One World Trade Trader, pour le symbole qu'elle représente ». En 2015, une première course s'est déroulée dans les escaliers de cette tour reconstruite à la place du World Trade Center, où des courses d'escaliers étaient déjà organisées au siècle dernier.

Méconnue, la discipline a pourtant déjà une longue histoire. La toute première course remonte à 1905 et a eu lieu à... la Tour Eiffel. À l'époque, les coureurs s'étaient arrêtés au deuxième étage et le journal « Les Sports », organisateur de l'événement, l'avait qualifié de « championnat de l'escalier ». L'épreuve a été reconduite l'année suivante, avant d'en rester là... Jusqu'à la fin des années 1970 et la naissance de l'Empire State Building Run Up, s'inspirant des entraînements de pompiers new-yorkais. L'épreuve a ainsi posé les fondations d'une discipline qui s'est développée outre-Atlantique avant de se propager en Europe et en Asie.

Une discipline retransmise

Aux États-Unis, la plupart des grandes villes ont depuis plusieurs années leur propre course du genre. Les gestionnaires immobiliers ont flairé la bonne occasion de créer des manifestations autour de leur immeuble. Et en France, la société Verama a monté son propre circuit avec six courses à Lille, Marseille, Lyon (où deux épreuves sont organisées), Nantes et Bordeaux. Comme au tennis ou en cyclisme, un championnat international regroupe les épreuves phares, parmi les 250 courses organisées à travers le monde, sous l'égide de la TWA. Une poignée de « professionnels » se disputent le titre de meilleur grimpeur d'escaliers. « Le «tower running» est devenu mon job principal, je cours une vingtaine de courses par an. J'ai plusieurs sponsors qui me suivent et mes frais sont généralement pris en charge par les organisateurs », confie Piotr Lobodzinski, qui continue cependant « à travailler à mi-temps dans un musée de Varsovie ».

La discipline commence même à se faire une (petite) place à la télévision. Pour la troisième année d'affilée, la Verticale de la Tour Eiffel a eu droit à sa retransmission sur Eurosport. « La logistique pour filmer est encore compliquée mais il y a tous les ingrédients pour faire un bon divertissement télévisuelavec le choix de sites remarquables, des athlètes avec une histoire et des performances sportives », explique Marc Chavet. Qui se fait lyrique pour décrire ces courses: « Il y a une notion de quête de l'homme face au bâtiment, à la manière d'un chevalier qui part à l'assaut d'une montagne, avec la récompense, au bout de l'effort, d'avoir une vue extraordinaire sur la ville. » Les « verticalistes », nouveaux conquérants de l'inutile, comme Lionel Terray, alpiniste renommé des années 60, avait baptisé ses homologues?

De New York à Guangzhou,la course aux sommets

L'Empire State Building Run-up, qui célèbre cette année sa 40e édition, est l'une des courses d'escaliers les plus célèbres et voit plus de 200 participants s'élancer dans ses 1576 marches pour finir au 86e étage. à l'inverse, la Verticale de la Tour Eiffel, seule épreuve à se dérouler dans un bâtiment ouvert sur la ville, est un contre-la-montre entre 128 concurrents pré-sélectionnés (sur plus de 600 inscrits).L'une des étapes phares du circuit mondial se déroule dans l'une des plus hautes tours du monde, la Canton Tower de Guangzhou, en Chine (près de 600 mètres). Le record est détenu par Piotr Lobodzinski, qui a grimpé les 111 étages et les 2580 marches en 15 minutes et 15 secondes. En montagne, les participants à la Niesen Treppenlauf, en Suisse, grimpent les 11674 marches de « l'escalier le plus long du monde », au sommet du mont Niesen. Et lors du Mount Everest Treppenmarathon, en Allemagne, il s'agit d'enchaîner 100 montées et descentes de 397 marches pour atteindre une ascension cumulée de 8848 mètres, - la hauteur de l'Everest (84,4 km).

Pierre Demoux et Nicolas Richaud

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